Le 19ème siècle est le siècle de la spécialisation.
Entre 1780 et les premières années du 20ème siècle apparaissent les journaux scientifiques spécialisés dans les différentes branches de la science et principalement la chimie et la physique. Ceux-ci contrastent avec les publications antérieures des sociétés scientifiques et des académies des sciences qui embrassaient une large variétés de sujets. Ces périodiques étaient souvent connus par le nom de leur éditeur comme par exemple les annales Lavoisier ou les annales de physique éditées par Wilhelm Gilbert.
La biologie devient également une science à part entière, séparée de la chimie ou de la physique.
Le premier livre traitant de la luminescence publié au 19ème siècle est un livre de 182 pages entièrement consacré aux organismes marins luminescents : « Uber das Leuchten des Meres » de Christophe Bernouilli publié en 1803 à Göttingen.
Au 18ème siècle la théorie corpusculaire de Newton dominait;
elle était très populaire dans les milieux intéressés
par la luminescence ; en effet quoi de plus facile que d’expliquer la
luminescence le plus simplement du monde en supposant que le phosphore retenait
les particules de lumière dans ses pores pour les laisser doucement s’échapper
dans l’obscurité.
Mais au début du 19ème siècle les expériences de
Thomas Young (1773-1829) et Augustin Fresnel (1788-1827) ramènent la
théorie ondulatoire à l’avant plan en permettant d’expliquer
la diffraction et les interférences.
La théorie corpusculaire reviendra bien sûr en force au 20ème
siècle avec la découverte du concept de quanta de Max Planck et
l’explication de l’effet photoélectrique d’Albert Einstein
par cette même théorie des quantas.
En 1807, l’Institut National Français Classe de mathématiques
et de physique offre un prix de 3000 Francs pour un concours ayant pour sujet
: « Pour établir par expérimentation quelles sont les relations
qui existent entre les différents modes de phosphorescence et leur cause
à l’exclusion des phénomènes observés chez
les animaux ».
Ce prix a été créé à l’initiative de
René Just Haüy (1743-1822), professeur de minéralogie dont
le fameux traité de minéralogie contient une liste de minéraux
thermoluminescents.
Les mémoires des candidats devaient être déposés
avant le 1er octobre 1808, de manière anonyme avec une enveloppe scellée
contenant le titre et l’auteur. Cette méthode habituelle pour l’époque
permettait de ne pas déshonorer ceux qui n’étaient pas retenus
par le jury (dont on détruisait en les brûlant sans les ouvrir
les enveloppes scellées) et surtout, d’éviter tout favoritisme
basé sur la renomée de l’auteur ou le chauvinisme.
Le concours était ouvert à tous, membres ou non de l’Institut.
Le prix fût adjugé lors d’un colloque, le premier lundi de
janvier 1809.
C’est le français Jean-Philibert Dessaignes qui remporta le prix.
Le texte gagnant de l’essai a été publié
à partir de 1809 sous forme de série dans le journal de physique
sous le titre « Mémoire sur la Phosphorescence » et fût
suivi d’une série d’articles complémentaires sur la
luminescence en 1810 et 1812.
Il comporte cinq chapitres traitant respectivement de la classification des
différentes luminescences, de la phosphorescence provoquée par
une augmentation de température, par insolation, par collision et enfin
de la phosphorescence spontanée (ce chapitre inclut le bois et le poisson
phosphorescent dont on ne connaissait pas encore clairement l’origine
biologique).
Dessaignes pensait que c’était l’eau
qui était liée à la substance qui provoquait la luminescence.
Le problème c'était que certaines substances luminescentes ne contenaient
apparemment pas d’eau !
Trois nouveaux types de luminescence allaient encore être découverts avant la fin du 19ème siècle : la fluorescence par G.G. Stokes en 1852, la radioluminescence en 1858 par J. Plücker et la chimioluminescence des solutions organiques par B. Radziszewski en 1877.
Au début du 19ème siècle, un des facteurs les plus importants
dans l’avancement de la science de la luminescence est l’extension
du spectre solaire vers l’infrarouge et l’ultraviolet.
Une autre avancée viendra du perfectionnement du spectroscope qui permettra
de voir les premiers spectres de luminescence. Wollaston va introduire l’utilisation
d’une fente entre la source lumineuse et le prisme pour remplacer le trou
d’aiguille qui était utilisé à l’époque,
ce qui lui permettra en 1802 d’observer les lignes noires dans le spectre
solaire, qui seront redécouvertes et étudiées plus tard
(1814) par Fraunhofer dont elles portent aujourd’hui le nom.
L’observation la plus ancienne du spectre de luminescence d’une
substance inorganique fût faite en 1713 par Zanotti au moyen d’un
prisme. Il nota la faible lumière monochromatique des phosphores,
mais la médiocrité de l’appareil utilisé ne permettait
pas d’avoir une idée précise de la répartition spectrale
; Priestley en 1767 observa le spectre de l’electroluminescence des gaz
à pression réduite dans un tube de verre, sans grand succès
non-plus. Dessaignes en 1811 ne pût faire mieux faute d’un appareillage
approprié.
En 1835, C. Wheatstone notait la présence de lignes (raies) colorées
dans le spectre d’étincelle de la vapeur de mercure et de certains
métaux.
Mais les premiers dessins convenables de spectre des sources d’excitation
de phosphores sont ceux de A.C. Becquerel publiés dans le second volume
de son traité de physique (Paris 1844).
Les premiers articles d’E. Becquerel (1843, 1848 et 1858) concernaient
principalement la composition de la lumière excitatrice, mais en 1859,
il publie un article illustré par la représentation du spectre
d’émission de phosphorecence de 15 substances solides différentes,
en parallèle avec une échelle représentant les lignes de
Fraunhöfer comme référence.
La méthode utilisée
consiste à couvrir un papier avec de la poudre du phosphore à
étudier mélangée à de la gomme. Une fois sec, le
papier était placé devant le spectre solaire produit par un prisme.
Ainsi Becquerel observe les deux bandes lumineuses séparées du
sulfure de calcium, une dans le violet et une dans l’ultraviolet, alors
que pour le sulfure de Baryum, il n’en discerne qu’une plus large
s’étendant du violet à l’ultraviolet.
Herschel note également en 1845 que dans le spectre de la luminescence
bleue du spath fluor examiné au moyen d’un prisme, le rouge, l’orange
et le jaune étaient absents mais que du vert était présent.
Stokes découvre le spectre de raies des substances luminescentes contenant
de l’uranium.
En 1852, il énonce sa célèbre loi .
Début du 19ème siècle, Sir John Herschel constate un phénomène analogue à celui observé par Monardes avec une solution de sulfate de quinine utilisée pour soigner les affections rénales; cette solution est parfaitement transparente, mais si on change l'angle d'observation, une jolie coloration bleu ciel apparaît (1845).
Trois siècles plus tôt en effet, au 16ème siècle, en 1565 très exactement, un médecin italien Nicolo Monardes avait déjà observé les reflets de certaines solutions d’extraits de plantes utilisées en pharmacie (comme le Lignum Nephreticum).
Kircher en 1646 avait lui aussi décrit l’effet de changement de couleur
d’une solution d’extrait de « Lignum Nephreticum » suivant
la direction dans laquelle on l’observait : par le côté ou
en transmission. Il fût le premier à étudier longuement le phénomène.
Une attention considérable était portée à ce phénomène
à la fin du 17ème siècle, période où l’origine
et la nature de la couleur était un sujet de recherche important.
Curieusement au 18ème siècle pratiquement aucune recherche n’est
menée dans ce domaine.
Malgré tout, durant ce 18ème siècle, le minéralogiste Haüy avait cependant constaté une coloration particulière lorsque l'on observe latéralement certains cristaux fortement éclairés et avait attribué ce phénomène à la diffusion de la lumière.
Au début du 19ème, l’intérêt pour ce phénomène renaît particulièrement à cause de la découverte d’un certain nombre de minéraux comme la fluorine, qui possédaient cette propriété.David Brewster et John Herschel essayèrent donc erronément d’expliquer ce phénomène par une diffusion de la lumière que l'un nommait « dispersion épipolique » et l'autre « dispersion interne ».
C'est Georges Stokes (1820 -1903), professeur de mathématiques à l'Université de Cambridge, qui démontrera qu'il ne s'agit pas d'une dispersion ni d'une diffusion mais d'un nouveau phénomène qu'il nommera "fluorescence".
L'expérience de Stokes
Vers le milieu du 19ème siècle, Stokes reprend l’expérience
que bien d'autres ont réalisé avant lui ( comme Herschel, Brewster, Goethe et bien d’autres encore).
En déplaçant dans l'obscurité un tube contenant du sulfate
de quinine le long d'un spectre solaire formé au moyen d'un prisme, Stokes
constate que toutes les couleurs traversent le tube sans y provoquer aucun effet
mais que lorsque l'on a presque dépassé le violet, une lueur bleue
claire apparaît dans la solution qui s'illumine comme par enchantement.
Citons Stokes qui s'émerveille de la beauté du phénomène:
« It was certainly a curious sight to see the tube (of quinine solution) instantaneously light up when plunged into the invisible rays ; it was litterally «Darkness visible » »
Ce qui peut se traduire à peu près par:
"C'était extraordinaire et comme irréel de voir ce tube s'illuminer
instantanément quand je le plongeais dans les rayons invisibles"; c'était littéralement le noir devenu visible.
George Stokes (1852)
Ce sont ces rayons que nous appelons aujourd'hui "lumière noire"
ou ultraviolet.
La lumière bleue n'est donc pas diffusée à partir de la
source d’excitation, elle est générée par la solution
sous l'effet du rayon excitateur. Rompant avec le paradigme de ses prédécesseur
qui ne voyaient dans le phénomène de fluorescence qu’une
variation de propriétés déjà connues comme la diffusion
et la dispersion, Stokes déclare qu’il s’agit d’une
nouvelle propriété physique en soi.
En effet, dès que le rayon "excitateur" a traversé une
faible épaisseur de liquide, il n'est plus capable de produire l'effet
bleuté alors que les rayons de lumière bleue eux traversent sans
encombre une épaisseur quelconque de liquide.
Il en conclut que les rayons qui produisent le phénomène de "dispersion
épipolique" ne sont pas de même nature que les rayons de couleur
bleue produits.
C'est donc Stokes qui en 1852 après avoir parlé de « true internal dispersion » par opposition à la diffusion appelée également « fausse dispersion interne », puis de « réflexion dispersive », y voit une véritable émission de lumière et un phénomène nouveau à part entière. Stokes propose donc pour remplacer le terme de dispersion devenu inadéquat, le nom de FLUORESCENCE, en raison de la propriété que possède certains échantillons de spath fluor (la fluorite) d'émettre les mêmes rayons bleus que la solution de sulfate de quinine, comme l’opale avait donné son nom au phénomène d’opalescence.
Voici ce qu'il dit:
« I am almost inclined to coin a word and call the appearance fluorescence
from fluor-spar, as the analogous term opalescence is derived from the name
of a mineral »
George Stokes (1852)
Becquerel ne voulut jamais entendre parler de ce nouveau terme qui faisait selon lui double emploi avec le terme phosphorescence déjà utilisé depuis longtemps.
Paradoxalement, on sait maintenant que le phénomène qui a été à l’origine de la recherche d’un nouveau nom, la différence de couleur du liquide selon la direction d’observation n’était pas dû à une fluorescence, mais à une phosphorescence de très courte durée. Ironie du sort !
La règle de Stokes
Stokes teste de nombreuses substances et fait une constatation capitale: dans toutes ses expériences, les rayons produits par fluorescence sont toujours moins réfrangibles que ceux qui les produisent (c'est à dire moins déviés par un prisme). Il publie cette découverte dans un mémoire intitulé "Changement de réfrangibilité de la lumière paru en 1852 dans les "Philosophical Transactions". C’est la règle de Stokes, une des avancées majeures du 19ème siècle.
Ainsi d’après cette règle , on peut provoquer une
fluorescence jaune avec de la lumière bleue, mais jamais l'inverse.
Nous verrons que parfois cette règle peut être transgressée
(fluorescence non-stokienne ou anti-stokes ou absorption multi-photons)
E. Lommel (1837-1899) fit également beaucoup de recherche sur la luminescence entre 1862 et 1895. On donne parfois son nom à une loi (1875) corollaire à celles de Stokes qui dit que : un corps émet de la fluorescence grâce aux rayons qu’il absorbe.
L'interprétation de Stokes du phénomène de fluorescence est basée sur un éther élastique qui vibre comme une conséquence des molécules lumineuses.
En 1854, Stokes proposera aussi une explication théorique des raies de Fraunhofer dans le spectre solaire. Il suggére qu'elles sont dues à la présence d'atomes dans les couches extérieures du Soleil qui absorbent certaines longueurs d'onde. Toutefois, lorsque Kirchhoff publira plus tard cette explication Stokes ne revendiquera aucune antériorité.
Stokes est donc une figure incontournable de l'histoire de la luminescence. Cependant sa contribution la plus importante à la science se fera en mécanique des fluides lorsque, en 1845, il décrit le mouvement des fluides visqueux. Ces équations sont connues aujourd'hui comme les équations de Navier-Stokes, et sont considérées comme des équations fondamentales. Stokes a découvert ces équations indépendamment vingt ans après Claude Navier dont il ne connaissait pas les travaux,de plus, il a utilisé un flux continu, là où Navier utilisait un flux moléculaire, de sorte que le crédit pour cette découverte est officiellement partagé. Dans un deuxième document, publié en 1850, il utilise ces équations pour résoudre plusieurs problèmes non triviaux concernant les oscillations d'un globe et d'un cylindre dans des fluides et le mouvement d'un fluide visqueux autour de ces formes géométriques. Ces solutions ont des applications immédiates à l'étude des vagues de l'océan et de l'électrolyse. Il y énonce également une autre loi décrivant la vitesse terminale de chute d'objets à travers les liquides.
Stokes est décrit par ses contemporains comme un homme modeste , travaillant dur, appliqué et religieux. Le travail administratif lié à ses fonctions et l'enseignement ont ralenti sa productivité, mais il a poursuivi ces activités par sens du devoir.
Un des traités de chimie les plus connus du 19ème siècle
qui fait une place importante à la luminescence est celui de Léopold
Gménil (1788-1853) de l’université de Heidelberg. La famille
Gmélin est depuis le début du 18ème siècle une famille
de scientifiques renommés dans les domaines de la médecine, la
pharmacie et la chimie. Son traité intitulé Handbuch der Theoretorische
Chemie est publié en 1817-1819 et sera réédité trois
fois ainsi que traduit en anglais.
Encore aujourd’hui, le Gmelin-Krant Handbuch der Anorganische Chemie est
un livre de référence standard.
Un ouvrage remarquable intitulé « Cours de physique » par J.E. Jamin édité en trois volumes en 1858-1866 a été utilisé très longtemps à l’école Polytechnique de Paris. La 3ème édition en 4 volumes datée de 1878-1883 avec EML Bouty comme co-auteur consacre 30 pages à la luminescence, illustrées de nombreux graphiques et figures ; elle aborde de manière pertinente les spectres d’émission, le changement de la couleur de phosphorescence avec la température ou les impuretés et la durée de la phosphorescence.
Edmond Becquerel (1820-1891) fût un réel leader de la physique
de la luminescence et apporta un nombre incalculable de contributions à
la connaissance de la phosphorescence et de la fluorescence. Il fabrique aussi
le premier phosphoroscope. Son père Antoine César Becquerel (1788-1878)
travaille aussi sur la phosphorescence. Son fils Henri (1852-1908) découvre
la radioactivité et étudie les phosphores et l’infra-rouge.
Dans le quatrième volume du « Traité expérimental
de l’électricité et du magnétisme » d’A.C.
Becquerel, 64 pages sont consacrées à la luminescence sous le
titre « De la phosphorescence ». On retrouve à peu près
le même contenu dans son « traité de physique considérée
dans ses rapports avec la chimie et les sciences naturelles (1842-1844).
A.C. Becquerel explique la luminescence des matières inorganiques par
un déséquilibre des particules des corps par rapport à
leur position normale, quelle qu’en soit la cause. Dans ces conditions, l’équilibre
est perturbé et son rétablissement provoque l’émission
de la lumière, à condition que cette phase prenne un certain temps.
Si le rétablissement est trop rapide, aucune lumière n’apparaît,
ce qui est le cas des métaux, bons conducteurs mais jamais luminescents.
On est en fait pas très loin de la notion moderne d’absorption
d’énergie par les électrons et d’état excité
!
Edmond Becquerel publie de nombreux articles et deux livres sur la luminescence
: « Recherche sur divers effets lumineux qui résultent de l’action
de la lumière sur les corps (Paris, 1859) et l’ouvrage monumental
: « La lumière, ses causes et ses effets » (Paris 1867) en
deux volumes.
Le premier volume comporte 426 pages et traite uniquement de l’émission
de lumière avec quatre illustrations couleur représentant le spectre
du soleil, de différentes flammes, de phosphorescence et de fluorescence;
le second volume traite de l’action photochimique.
Contrairement à son père, Edmond Becquerel ne présente
aucune explication théorique de l’émission lumineuse. Il
se contente de présenter des données quantitatives.
Ce livre publié en 1867 marque la fin d’une époque dans
l’étude de la phosphorescence.
Le travail de Stokes sur la fluorescence en 1852, celui de Julius Plücker
sur l’électroluminescence (1858) allaient en effet mener au rapide
développement de la recherche dans ces domaines.
Crookes en Angleterre, P.E. Lecoq de Boisbaudran (1858-1912) en France, Eugène
Lommel (1837-1899), Eilhardt Wiedemann (1852-1928) et Philipp Lenard (1862-1947)
en Allemagne, travaillent sur le sujet.
Aux USA, ce sont entre autres Joseph Henry (1799-1878) et John William Draper (1811-1882).
Il est surprenant de constater qu’après la publication du traité d’Edmond Becquerel en 1867 aucun autre livre majeur sur la phosphorescence ou la fluorescence ne sera plus publié avant le début du 20ème siècle même s’il faut tempérer cette remarque par la publication de très long articles (plusieurs dizaines de pages) consacrés à ce sujet dans les revues spécialisées.
En 1862 T.L. Phipson publie un livre destiné au grand public intitulé « Phosphorescence »
La famille Wiedemann est l’équivalent en Allemagne de la famille
Becquerel en France. Le père d’Eilhardt, Gustav Heinrich Wiedemann
(1826-1899) publie quelques articles sur la luminescence ; il était aussi
l’éditeur des Annalen der Physik und Chemie de 1877 à 1899.
Les premiers travaux d’Eilhardt sont consacrés à la polarisation
et à la réfraction de la lumière, ensuite à la chaleur
spécifique des gaz et à leur spectre d’électroluminescence
pour finir par s’intéresser à la phosphorescence à
laquelle il consacre la plus grande part de son temps.
Wiedemann était également spécialisé dans la connaissance
de la science arabe sur laquelle il publia plusieurs articles et un petit livre
intitulé « Die Naturwissenschaften bei den Araben » (Hambourg
1890, 32 pages)
En 1888 Eilhardt Wiedemann réunit les notions de phosphorescence et de fluorescence sous le terme général de luminescence. Il propose d'utiliser ce terme pour caractériser l'émission de lumière "froide" d'une substance, c'est à dire l'émission d'une lumière sans qu'il y aie chauffage (incandescence), un préfixe pouvant être utilisé pour préciser le mode de production (électroluminescence, thermoluminescence...).
Il classifie dès lors la luminescence en 6 catégories dont le préfixe décrit la méthode d’excitation:
Cette classification reste toujours valable aujourd’hui et a le mérite d’être simple à comprendre et explicite.
Trois générations de Becquerel se sont succédées
en France dans l’étude intensive et détaillée de
la phosphorescence:
• Antoine Becquerel (1788-1870)
• Edmond Becquerel (1820-1891)
• (Anthoine-) Henri Becquerel (1852-1908) qui découvrit également
la radioactivité.
Antoine et son fils Edmond exposent différentes matières fluorescentes
sous différentes longueur d’onde et mesurent les spectres émis
à différentes températures. C’est également
eux qui décrivent le premier activateur reconu, le manganèse dans
la calcite.
En 1879, ils mettent au point le phosphoroscope pour mesurer la durée
de la phosphorescence, en effet, lorsque la durée de la phosphorescence est très courte, un dispositif mécanique devient nécessaire pour la détecter. L'instrument le plus ancien et le plus connu à cet effet est le phosphoroscope de Becquerel.
Par le biais de cet appareil, on peut mesurer avec une précision considérable la durée du phénomène.
C’est en travaillant sur l’enregistrement sur des plaques photographiques
de la fluorescence des sels d’uranium qu’Henri Becquerel rentre
dans l’histoire avec un grand H en découvrant la radioactivité
En 1868, Henri (16 ans ? ? ? ?)Becquerel publie un livre intitulé "la
lumière" dans lequel il étudie le phénomène
de "résonance optique" et les lois fondamentales du déclin
de la phosphorescence pour les cas simples ainsi que la fluorescence des sels
d'uranyle
Henri Becquerel (Paris 1852- Le Croisic 1908)
Henri Becquerel était professeur de physique au Muséum national d'histoire naturelle à Paris et à l'École polytechnique. C'était un spécialiste des phénomènes de polarisation rotatoire et - tout comme son père Edmond Becquerel avant lui - des processus de luminescence (fluorescence et phosphorescence).
Le 20 Janvier 1896, l'Académie des Sciences découvre les radiographies des mains obtenues par Röntgen. Ces photos sont présentées par deux médecins, Paul Oudin et Toussaint Barthélémy. Henri Poincaré a reçu un exemplaire de l'article de Röntgen. La séance est animée. Poincaré, le plus grand mathématicien de l'époque, est passionné de physique; ces résultats piquent sa curiosité. Il y a là Henri Becquerel, qui, fasciné comme Poincaré, s'interroge avec lui sur la provenance de ces rayons. D'après ce que dit Röntgen, répond Poincaré, les rayons X sont émis à l'extrémité opposée à la cathode, là où les rayons cathodiques provoquent une vive fluorescence du verre.
Tant Becquerel que Poincaré se demandent s'il n'y a pas un lien entre les rayons X et la fluorescence. Cette hypothèse va déclencher le travail de Becquerel: se peut-il que les rayons de Röntgen accompagnent d'autres phénomènes de luminescence, ou de fluorescence?
Becquerel tente, dès le lendemain, de vérifier si les substances fluorescentes émettent aussi des rayons X quelle que soit la cause de leur fluorescence . Il est mieux placé que quiconque pour mener à bien cette analyse. Par tradition familiale, il est un expert en matière de phénomènes de luminescence, la phosphorescence l'a toujours émerveillé, comme elle a émerveillé son père et son grand-père, et il maîtrise parfaitement les techniques photographiques .
Les premiers essais sont des échecs, jusqu'à ce qu'au bout de
quelques jours il pense à utiliser des sels d'uranium. Pourquoi de l'uranium?
Chance, diront certains, intuition géniale répliqueront d'autres,
la longue tradition familiale des Becquerel depuis le début du siècle
y est certainement pour beaucoup: il possède une quantité notable
de ces composés d'uranium (sulfate double d’uranyle et de potassium),
qui ne sont jusque là que des curiosités, sans grande application
scientifique . "Les résultats de Röntgen ne justifiaient pas
vraiment cette idée, dira plus tard Becquerel, mais les sels d'Urane
possédaient des propriétés de luminescence très
extraordinaires, et il était véritablement tentant de procéder
à cette investigation."
L'histoire de la découverte est très rapide. Becquerel sait que
pour qu'un corps devienne luminescent, on doit préalablement l'exposer
à la lumière. Mais il ne faut pas que cette lumière impressionne
directement la plaque photo qui doit détecter les rayons X. Il enveloppe,
par conséquent, des plaques photo dans du carton noir et des feuilles
d'aluminium, recouvre l'ensemble de lamelles cristallines de sels d'uranium,
et expose le tout au soleil sur le bord de sa fenêtre. Le 24 février
1896, Henri Becquerel communique à l'Académie que les plaques
photographiques fortement protégée de la lumière du soleil
ont été impressionnées par un rayonnement invisible pénétrant
. Tout semble confirmer son hypothèse de travail: l'uranium émet
des rayons X pendant sa fluorescence. Certes, les taches observées sur
les plaques photo sont bien ténues, beaucoup moins spectaculaires que
les images de Röntgen. Mais elles sont bel et bien présentes. Si
l'on interpose divers objets métalliques entre le sel d'uranium et la
plaque, on voit leur silhouette se dessiner sur les clichés. Les rayons
invisibles sont plus ou moins atténués par les matériaux.
Mais, une semaine plus tard, Becquerel en sait bien davantage. Il veut, en
effet, répéter son expérience le 26 et le 27 février.
Hélas! Paris est recouvert de nuages. Becquerel abandonne ses échantillons
dans un tiroir, remettant son expérience à plus tard. Avant de
reprendre ses travaux, le dimanche 1er mars, il développe "par acquit
de conscience" ses plaques photo, dont tout laisse à penser qu'elles
seront vierges puisque, à l'abri du soleil, la fluorescence des sels
d'uranium qui les recouvrent n'a pas pu être excitée. Il découvre
qu'elles sont, au contraire, fortement impressionnées et se rend compte
immédiatement qu'il est face à un phénomène nouveau.
Comme il l'établira rapidement, l'impression de ses plaques est totalement
indépendante de l'intensité de la fluorescence de l'uranium, donc
de l'excitation lumineuse extérieure. Le sel d'uranium émet des
rayons pénétrants qu'il ait ou non été exposé
à la lumière solaire
La conclusion de sa communication à l'Académie, le lundi 2 mars,
est un coup de théâtre pour ses collègues. Becquerel y laisse
percer sa propre stupéfaction. " J'insisterai particulièrement
sur le fait suivant, qui me paraît tout à fait important et en
dehors des phénomènes que l'on pouvait s'attendre à observer:
Les mêmes lames cristallines, placées en regard de plaques photographiques,
dans les mêmes conditions et au travers des mêmes écrans,
mais à l'abri de l'excitation de radiations incidentes et maintenues
à l'obscurité produisent encore les mêmes impressions photographiques.
(...) Le soleil ne s'étant pas montré, j'ai développé
les plaques photographiques le 1er mars en m'attendant à trouver des
images très faibles. Les silhouettes apparurent, au contraire, avec une
grande intensité. (...) Une hypothèse qui se présente assez
naturellement à l'esprit serait de supposer que ces radiations (...)
seraient des radiations invisibles (...) dont la durée de persistance
serait infiniment plus grande que la durée de persistance des radiations
lumineuses émises par ces corps. Les expériences que je poursuis
en ce moment, pourront, je l'espère, apporter quelques éclaircissements
sur ce nouvel ordre de phénomènes."
Il démontra que les radiations émises partageaient certaines caractéristiques des rayons X, mais contrairement à ceux-ci, elles pouvaient être détournées par un champ magnétique, elles possédaient donc une charge.
Becquerel prouva ensuite que son expérience démontrait une propriété
subatomique. Cette trouvaille lui fit découvrir que l'air est constitué
d'atomes de matière gazeuse, l'échantillon détachait des
électrons : Becquerel ionisa l'air (chargé +, -). À l'aide
de l'électroscope, il mit en évidence ces radiations. L'appareil
démontrait la présence de charges électriques. L'air ionisé
devint conducteur et l'électroscope se déchargea. Becquerel aura
inventé le premier instrument permettant de déceler des radiations
nucléaires. Il n'arrivera pas cependant à expliquer la provenance
des radiations découvertes. On leur donnera le nom de rayons Becquerel.
Pendant ce temps, Pierre et Marie Curie découvrirent le polonium. Becquerel
étudia ce nouvel élément. En analysant les radiations du
polonium, il découvrit un nouveau rayonnement différent de ses
premières observations. Il donna à ce rayonnement le nom de radiations
bêta et démontra qu'il était composé d'électrons
provenant des atomes de polonium.
Un "nouvel ordre de phénomènes" en effet. Becquerel prendra progressivement conscience de la signification profonde de sa découverte: un phénomène majeur de la nature! La suite des événements va le révéler.
L’absence de source artificielle limitait à l’époque
l’observation à l’usage de la lumière solaire dispersée
par un prisme ou filtrée au moyen de verre coloré. Les expériences
se limitaient donc aux effets des ultraviolets de grande longueur d’onde
et de faible intensité puisque l’ozone présent dans la haute
atmosphère bloque le passage des radiations de moins de 300 nm. A la
fin du 19ème siècle, les progrès de l'électricité
et des techniques du vide permettent de fabriquer des sources artificielles
pour l'excitation de la fluorescence et à se passer de la lumière
naturelle.
Le tube mis au point par William Crookes (1875) en est un bon exemple. Les spectres
émis par les substances soumises à ces nouveaux rayons (les rayons
cathodiques) étaient tellement caractéristiques que certains éléments
rares ont été ainsi identifiés par Crookes et Lecoq de
Boisbaudran.( le gallium (en 1875 en analysant de la blende provenant de Pierrefitte
dans les Pyrénées, le samarium en 1879) et le dysprosium en 1886).
Crookes invente également le spinthariscope en 1903
En 1866, Sidot prépare le premier phosphore stable commercialement utilisable à base de sulfure de zinc émettant une lumière verte. Les phosphores à base de sulfure de zinc sont toujours utilisés de nos jours et restent un des groupes de phosphores les plus importants dans la technologie moderne. En 1870, un autre phosphore apparaît sur le marché, la peinture de Balmain, à base de sulfure de calcium.
A cette époque, on commence à comprendre le mécanisme
de la luminescence de ce type de matériau. Verneuil démontre que le CaS pur n’est pas luminescent et qu’une
trace de Bi était nécessaire pour qu’il y ait émission (1866) .
Il fait également le lien entre la luminescence verte du ZnS et des traces
d’impuretés de cuivre. Il étudie également l’effet
du manganèse et de l’argent.
Lecoq de Boisbaudran et Wiedemann étudient également la luminescence
des matériaux inorganiques et montrent qu'une trace de métal étranger
est parfois nécessaire à la phosphorescence.
A la fin du 19ème siècle et au début du 20 ème,
Klatt et Philipp Anton Lenard (Wied. Ann., 1889, xxxviii. 90), physiciens allemands, et Becquerel en France travaillent sur l'activation des phosphores à base de métaux alcalins.
Ils établissent que ce sont les impuretés
métalliques (Cu, Bi, Mn...) introduites sous forme d’ions dans la structure cristalline
des phosphores qui sont à l'origine de la luminescence. Ils constatent les variations de la luminescence avec la proportion d'impuretés. La notion d’activateur
est née.
Klatt et Lenard démontrent également que les sulfures alcalins perdent leur propriétés de phosphorescence quand ils sont soumis à très une haute pression.
La luminescence du phosphore est souvent considérée comme le
premier exemple de chemiluminescence bien que tout organisme vivant émettant
de la lumière la produise par un processus de chimioluminescence interne
ou via un liquide secrété à l’extérieur.
En 1850, W. Petrie rapporte la luminescence d’une surface fraîchement
coupée de potassium métallique dans l’air, probablement
dûe à un processus analogue à celui du phosphore, bien que
cette luminescence aie été peu étudiée.
Mais le 19ème siècle est surtout le siècle de la découverte
de la première réaction chimique organique en milieu liquide émettant
une lumière semblable à celle des organismes vivants.
C’est à Bronislaus Radziszewski (1838- ) professeur de chimie à
Lemberg (Galicia) que l’on doit cette découverte.
Il s’agissait de composés contenant la chaîne triphénylglyoxaline,
comme l’amarine et la lophine qui, dissouts dans l’alcool puis mélangés
et secoués avec de l’air en solution alkaline, s’oxydent
en émettant de la lumière.
Cette découverte fût publiée en 1877, près de 200
ans après la découverte du phosphore.
Radziszewski a lui-même compris l’importance de cette découverte
pour l’explication de la bioluminescence.
La cathodoluminescence est découverte en 1858 par Plücker et E. Becquerel et l'anodoluminescence est découverte en 1886 par E.Goldstein (1850-1931)
En 1895 Roentgen découvre les rayons X en remarquant la fluorescence anormale d'un écran de platinocyanure de baryum soumis au rayonnement d'un tube de Crookes.
On peut résumer les découvertes et les avancées faites au 19ème siècle comme suit :
• De nouveaux phosphores apparaissent (Sidot, Balmain)
• Reconnaissance de la fluorescence comme une nouvelle propriété
physique en soi, une véritable émission de lumière
• Découverte de la radioluminescence
• Découverte de la chimioluminescence de nombreux composés
organiques en solution
• Invention du phosphoroscope
• Mesure précise de la distribution spectrale de l’émission
de luminescence
• Clarification de la relation entre la lumière excitatrice et
la lumière émise
• Engrangement de nombreuses informations précises sur l’effet
de la température, de la pression et de la présence d’impuretés
• Développement de la théorie de la luminescence basé
sur un changement de niveau d’énergie et de principe thermodynamiques
bien établis
• Découverte du quenching (poisons)
Il manque cependant toujours quelque chose d'essentiel pour le développement de la fluorescence: une source artificielle intense d'ultraviolet...