Vieques Island, Puerto Rico: les dinoflagellés excités par les mouvements de la nageuse émettent une bioluminescence et rendent l'eau lumineuse autour de ses bras. Copyright: http://www.islavieques.com
En occident, c’est aux grecs que nous devons les premiers traités de philosophie et de sciences. C’est donc tout naturellement chez les grands philosophes grecs que nous allons trouver les premiers écrits parlant de phénomènes liés à la luminescence. L’aurore boréale est déjà signalée par Aristote (-384 AJC,-322 AJC) dans son livre Meteorologia (livre 1, 4ème et 5ème parties) et plus tard dans Questiones Naturales écrit vers l'an 63 par Lucius Amas Sénèque (né vers 4 av. J.-C. et mort en 65 ap. J.-C), fils du célèbre orateur Sénèque l’ancien. De même, la référence écrite la plus ancienne dans le monde grec concernant la phosphorescence de la mer apparaît chez le philosophe grec Anaximenes (610-546 AJC) qui décrit comment faire jaillir des éclairs dans l’eau en la frappant au moyen d’une rame et ensuite dans le Meteorologia d’Aristote déjà cité. Aristote mentionne aussi dans ses écrits la lueur qui émane dans l’obscurité de certaines substances en putréfaction et celle des vers luisants.
Il existe dans pratiquement toutes les cultures une mythologie liée au soleil et au feu, source de chaleur et de lumière et bien qu’il n’y ait pas vraiment de dieu ou de déesse de la luminescence, les Grecs associaient les faibles lueurs froides comme celle de la lune à la déesse Sélène, identifiée ensuite à Artémis et appelée Luna ou Diane à Rome.
Il est d’ailleurs intéressant de constater que le premier livre sur la luminescence publié en 1555 par Conrad Gessner s’intitule « De lunariis… ».
La néréide Méra ou Meira, une des cinquante sœurs de Néréus pourrait aussi prétendre à être la déesse de la luminescence puisqu'elle est associée à la lumière phosphorescente à la surface de la mer.
Les légendes sur les gemmes qui s’illuminent la nuit sont nombreuses dans toutes les cultures des grecs aux romains en passant par les Indes et surtout la Chine. Leur description occupe une place importante dans la littérature ancienne, elle est cependant toujours ambiguë ou équivoque et il n’y a aucun récit vraiment clair et net permettant d’être certain des observations. Il semble au contraire à chaque fois qu’il s’agisse plutôt d’une brillance due à la concentration de la lumière par sa réflexion à l’intérieur de la gemme sous faible éclairage. Nous reviendrons sur ces légendes quand nous parlerons du Moyen-âge où elles redeviennent très populaires.
Image Copyright: Champignons luminescents Neonothopanus gardneri (Source : Cassius V. Stevani, IQ-USP Brazil)
Depuis l’antiquité la plus ancienne, la phosphorescence de la mer est connue. Certains auteurs affirment que celle-ci était attribuée à Castor et Pollux, bien qu’en principe, ce soient plutôt les « feux de St Elme », c’est à dire les aigrettes lumineuses apparaissant sur les mats des navires par temps de tempête qui leurs soient habituellement associés. Pline parle de la phosphorescence de certains mollusques (« Pholas ») morts ainsi que des méduses. Il explique comment en frottant ces animaux sur une planche de bois, celle-ci devient lumineuse dans l’obscurité et une fois le phénomène disparu, comment le réactiver en frottant la planche avec la main.
Il est difficile de comprendre pourquoi on ne trouve pas plus de références aux lucioles dans la littérature classique latine car on en trouve en quantité en Italie. Etrangement rien non plus sur la phosphorescence de la mer dans l’Énéide du poète Virgile (70-19 AJC) alors que celle-ci aurait très bien pu prendre place dans cette épopée et rajouter une note mystérieuse à l’extraordinaire du récit … Il faut attendre Pline le second – le fils de Pline l’ancien, celui qui mourût dans l’éruption du Vésuve à Naples – et son Historia Naturalis où il décrit le ver luisant (Lampyrides, livre 11 chapitre 28), la pholade (Pholas dactylus livre 9 chap.61), une variété de méduse lumineuse (pulmo marinus), un poisson lanterne non identifié (Lucerna piscis) ainsi qu’un champignon lumineux comestible (sans doute l’agaric ou une pleurote que l’on récolte la nuit grâce à sa luminescence; livre 18 chap.8), ou encore une plante qui devient lumineuse en séchant et enfin du bois pourri phosphorescent.
"lxxxiv Ab his terreni ignes proxime significant. pallidi namque murmurantesque tempestatum nuntii sentiuntur, pluviae etiam, si in lucernis fungi, si flexuose volitet flamma. "
"358 ventum nuntiant lumina, cum ex sese flammas elidunt aut vix accenduntur; item cum in aëno pendente scintillae coacervantur, vel cum tollentibus ollas carbo adhaerescit, aut cum contectus ignis e se favillam discutit scintillamve emittit, vel cum cinis in foco concrescit et cum carbo vehementer perlucet. "
"98 aliud rursus eorum genus, qui e fimo ingentes pilas aversi pedibus volutant parvosque in iis contra rigorem hiemis vermiculos mugitu, alii focos et prata crebris foraminibus excavant, nocturno stridore vocales. lucent ignium modo noctu laterum et clunium colore lampyrides, nunc pinnarum hiatu refulgentes, nunc vero conpressu obumbratae, non ante matura pabula aut post desecta conspicuae. "
Pline signale également la brillance la nuit des yeux des chats, des daims, des loups, des hyènes et d’autres animaux (livre 11 chap.37).
"151 nocturnorum animalium veluti felium in tenebris fulgent radiantque oculi, ut contueri non sit; et caprae lupoque splendent lucemque iaculantur. vituli marini et hyaenae in mille colores transeunt subinde. quin et in tenebris multorum piscium refulgent, aridi sicut robusti caudices putresque vetustate. non conivere diximus quae non obliquis oculis, sed circumacto capite cernerent. "
Depuis lors, celle-ci a souvent été confondue avec la véritable luminescence alors qu’elle est due indiscutablement et sans exception connue à une simple réflexion de la faible lumière encore malgré tout présente même en pleine nuit sur les cellules du fond de la rétine.
Enfin, d’après les récits, les bacchantes lors des bacchanales avaient les cheveux phosphorescents et possédaient des torches qui ne s’éteignaient pas sous l’eau. Cependant, aucun texte n’explique comment ces effets étaient obtenus. Peut-être les romains avaient-ils synthétisé un phosphore en calcinant du soufre et de la chaux ou des coquilles d’huîtres. Ces « torches » en se décomposant dans l’eau pourraient expliquer la laitance qui selon Euripide apparaissait alors.
Ni la Bible ni le Coran ni le Talmud ne parlent de vers luisants, ni de lucioles.
Il faut dire que ces animaux sont rares sous les latitudes désertiques du Moyen-Orient et affectionnent plutôt les zones humides tempérées ou chaudes ou encore les tropiques. Il existe cependant une tradition rabbinique qui pourrait être rattachée à un phénomène de luminescence ; cette tradition parle de Noé qui possédait dans l’arche une pierre qui brillait plus de nuit que de jour… Il faut cependant constater que la description de ces pierres « plus lumineuses la nuit que le jour » est très souvent sujette à caution comme nous le verrons dans la partie consacrée au moyen-âge où les récits concernant de tels phénomènes deviendront plus nombreux.
Les Hindous mentionnent par contre plusieurs fois les lucioles et les vers luisants dans les Upanisads à travers le mot sanskrit Khadyota.
Il existe également une légende extraordinaire que l’on retrouve à la fois en Inde et au Sri Lanka et qui concerne la « Pierre lumineuse du Cobra » ou «perle du cobra» dite « Naja-Kallu » en Inde ou «Naga Mani» au Sri Lanka. Cette légende veut qu’un cobra sur vingt environ soit sensé chasser la nuit au moyen d’une pierre lumineuse qu’il transporte dans sa gueule le jour et qu’il dépose dans l’herbe la nuit afin d’attirer les lucioles pour les dévorer. Certains cobras - mais pas le cobra royal - sont en effet parmi les rares serpents à manger des insectes. La pierre est censée imiter la lueur d'une luciole femelle qui se tient au sol (la femelle ne peut voler) et attire de nombreux mâles volant autour d'elle et que le serpent dévore. La Naga Mani est considérée dans l'hindouisme comme une des neufs perles sacrées. Les livres traditionnel indiens sur les gemmes et leur formation expliquent que ce sont les gouttes de pluie influencées par Swati Nakshtra qui se transforment en perle quand elles tombent dans la bouche d'un cobra royal de plus de cent ans. Une fois la perle formée, le cobra possède des pouvoirs magiques qui lui permettent de se transformer en ce qu'il veut. Le lustre et la taille de la perle augmentent avec l'âge du serpent. Elle possède une couleur de lune légèrement bleutée et émet une lueur particulière la nuit venue. Posséder une telle perle apporte la chance, la santé et permet de combler tous les désirs. Malheureusement, la légende ne résiste pas à la science: le cobra royal ne mange pas d'insectes, il mange d'autres serpents ou de petits mammifères; il existe bien cependant des cobras insectivores mais leur vie n'excède pas vingt à trente ans!
Le meilleur récit concernant cette légende est sans aucun doute celui du professeur H. Hensoldt dans le numéro 478 du volume 80 du "Harpers Monthly Magazine" du mois de mars 1890 (page 536-540) intitulé « The Naja-Kallu Or Cobra Stone » dont voici le résumé.
Durant son séjour chez un ami à Point de Galle une ville portuaire importante du sud de l’île de Sri Lanka, le professeur Hensoldt entendit parler de cette légende. Un peu sceptique et moqueur au point de vexer son hôte, celui-ci lui garantit que dans les cinq jours il serait en possession d’une telle pierre. Dès le lendemain, Hensoldt se mit en chasse et tua au moins 15 cobras dont il examina la bouche et l’estomac sans trouver une seule pierre. Tous les coolies de la plantation avaient été prévenus et une prime était promise à celui qui pourrait mener le professeur à un Cobra porteur de pierre. Un soir qu’il parlait avec son hôte après dîner, un coolie Tamoul prévient qu’il en a découvert un. Les enfants de son hôte étant absents et son hôte lui-même étant âgé et malade, Hensoldt partit seul avec le coolie. Arrivé sur place, il vit après un instant le petit point lumineux et le cobra qui restait à proximité. Très excité et dans la précipitation, Hensoldt avait oublié d’emporter une arme à feu. Il voulut tenter de s’approcher et de le tuer à main nues mais son coolie le supplia de ne rien faire sans arme à cause de la réputation des cobras porteurs de pierre d’être particulièrement dangereux quand ils surveillent leur piège lumineux qu’ils défendent à tout prix. On dit même qu’un cobra qui perd sa pierre en meurt de chagrin ou même se suicide (plus simplement, un cobra qui aurait appris à chasser de cette manière pourrait peut-être mourir de faim s'il perdait sa pierre...). Le coolie lui promit que dans les deux jours il aurait la pierre par stratagème. Hensoldt regretta amèrement de ne pas avoir emporté de fusil et accepta de suivre le conseil. La nuit suivante, le Tamoul monta sur un arbre pour guetter l’arrivée du serpent et le vit revenir exactement au même endroit, dès qu’il le vit déposer la pierre, il jeta un sac de cendres qui recouvrirent la pierre. Le serpent qui avait reçu l’avalanche de cendres chercha quelques instants la pierre sans la trouver et puis disparut dans la jungle. Le coolie qui se méfiait resta toute la nuit dans l’arbre et attendit que le soleil soit bien levé avant de descendre après avoir une fois encore vérifié qu’il ne voyait plus le reptile. Les cendres furent ramassées, tamisées et bien sûr…la pierre fût trouvée. C’était une petite pierre roulée semi-transparente ovale et aplatie, de couleur jaunâtre, à peu près de la taille d’un gros petit pois, qui émettait une lumière verdâtre dans l’obscurité particulièrement si on la réchauffait légèrement. Après analyse on sût qu’il s’agissait d’une variété de fluorite appelée chlorophane qui une fois exposée aux rayons du soleil le jour peut rester lumineuse toute la nuit.
Tisserand de Baya mâle et son nid.
Image: Wikipedia
Si vous voulez lire l’article complet du Harpers Magazine, vous le trouverez sur Internet sur le site de la bibliothèque de l’Université Cornell section Making of America ( http://cdl.library.cornell.edu/moa/ ) après avoir fait une recherche (onglet "Search") sur Hensoldt ou directement en cliquant ici.
Un commentaire sur cet article a également été publié dans le New York Times du 9 mars 1890 sous le titre "The Lure of the Cobra"; vous pouvez le lire ici.
Une autre histoire plus récente concerne un oiseau d’Inde, le baya-bird ou oiseau bouteille (Ploceus philippinus, Tisserand de Baya ou Tisserin Baya (Baya Weaver)) qui serait sensé placer des lucioles dans les petites boules de boue qu’il utilise pour fabriquer son nid en forme de bouteille – d’où son nom - afin d’effrayer les animaux rôdeurs et ainsi de protéger ses œufs et ses jeunes.
Luciole femelle.
Image: Wikipedia
Dans la littérature chinoise, les lucioles et les vers luisants sont très présents. La plus ancienne allusion aux lucioles et aux vers luisants se trouve dans le « Shih Ching » ou livre des odes qui est daté entre 1500 et 1000 AJC. On retrouve également dans un livre intitulé Erh-ya (publié entre 400 et 100 AJC) et qui est une sorte de glossaire définissant l’emploi correct des mots et entre autres des noms de plantes et d’animaux, les mots Ying-huo (Ying Huo Chong) ou Chi-chao désignant la luciole et toujours en usage aujourd’hui. Dans le quatrième livre du Li-Chi (notes sur les rites anciens) également daté entre 400 et 100 AJC, on retrouve quelques lignes en vers qui décrivent l’arrivée des lucioles au troisième mois de l’été :
« Le vent commence à souffler doucement, le criquet prend sa place dans les murs, les jeunes éperviers s’entraînent à la manière de leurs parents. Les lucioles apparaissent dans l’herbe. »
On retrouve dans le sinogramme yíng 荧, le radical huǒ 火, le « feu ».
Enfin dans la biographie de Ch’e Yin (ou Hsien Yin) publiée dans l’Histoire de la dynastie Tsin (Tsin Shih chap.83) qui date de 264 à 419 AD, on le décrit comme un étudiant appliqué mais pauvre, obligé, ne pouvant acheter d’huile pour sa lampe, de s ‘éclairer en capturant des lucioles. Il existe une peinture du grand peintre japonais Kano Tan-Yu (1602-1650) représentant cette scène.
Le moine Sung Tsan-Ning (919-1001) raconte que le second empereur de la dynastie Song (Zhao Kuangyi 976-997 (趙匡義 Zhào Kuāngyì) ou Zhao Guangyi (趙光義 Zhào Guāngyì ?)) possédait une peinture représentant à la lumière du jour un buffle broutant l’herbe devant son étable et qui se transformait dans l’obscurité de la nuit pour montrer le buffle dans son étable cette fois. Il explique le phénomène par l’utilisation d’une peinture mélangée à une substance spéciale fabriquée à base de coquille perlière pour la scène de nuit et d’une peinture mélangée à de la poussière d’une roche particulière éjectée dans la mer par un volcan. Il est donc possible que les Chinois aient découvert bien avant Canton (1768) le phosphore fabriqué à base de coquille d’huîtres mais ce n’est pas sûr du tout car dans certains de ses écrits le moine Sung Tsan-Ning se montre particulièrement affabulateur. En tous cas, ce récit est la mention la plus ancienne connue d'un matériau créé par l'homme capable d'emmagasiner la lumière du jour pour la restituer ensuite.
La période Song qui s’étend de 960 à 1127 (dynastie Song du Nord) et de 1127 à 1279 (dynastie Song du Sud) correspond à l’apogée des inventions et des perfectionnements techniques en Chine. La boussole est utilisée dès la fin du Xème siècle, l’imprimerie à caractères mobiles débute dès le XIème siècle (quatre siècles avant l’occident !) et le fusil à canon apparaît au XIIème siècle. La science est pour les savants chinois de cette époque un moyen de rechercher l’ordre de l’univers. Ils possèdent un sens aigu de l’observation et de la précision. Les centres du savoir, limités auparavant aux monastères bouddhiques, se multiplient et des académies privées apparaissent.