C’est Gonzalo Fernandez Oviedo (1478 – 1557), chroniqueur officiel des affaires indiennes, qui le premier relate dans son livre « Historia General y natural de los Indias » (livre XV chap. XIII, publié à Tolède en 1526) l’existence des cucujos ou cocujo, un insecte coléoptère élatéride du genre Pyrophorus vivant en Amérique centrale et du sud (Antilles, Saint Domingue).
L’insecte ailé mesure environ deux centimètres et demi. Il possède 4 zones lumineuses : deux occupent la place des yeux et deux se trouvent sur l’abdomen, sous les ailes, et ne sont donc visibles que pendant le vol.
Un seul animal permet de lire et d’écrire dans l’obscurité et 4 ou 5 individus retenus ensemble dans une cage produisent la même lumière qu’une lanterne sans être sensible ni au vent ni à l’eau, nous dit Oviedo.
Les indigènes en font des colliers lumineux et les chefs de guerre en portent même un sur la tête lors des attaques nocturnes pour que leurs guerriers puissent les suivre.
A la suite des indigènes, les Conquistadors utilisèrent aussi les cucujos pour s’éclairer afin de palier le manque d’huile et d’économiser son prix.
Après quelques jours, quand un cucujo s’affaiblit et ne produit plus assez de lumière, il est libéré et remplacé par un autre.
A partir de ces insectes, les Indiens fabriquaient aussi une pâte lumineuse, dont ils s’enduisaient le visage et les mains afin d’effrayer les passants lors des fêtes.
Pietro Martire d’Anghiera (1455 – 1526) consacre plusieurs pages de son livre « De Orbe Novo » (1530) aux cucujos.
En 1555, Conrad Gessner (1516 – 1565) écrit un livre intitulé « De raris et admirandis Herbis quae sive quod noctu lucenat, sive alias ob causas Lunariae nominantur et orbiter de aliis etiam rebus, quae in tenebris lucent, commentariolus », publié à Tiguri (Zurich). (Traduction de ce long titre : "Un court commentaire sur des plantes rares et merveilleuses qui sont appelées lunaires parce qu’elles luisent la nuit ou pour d’autres raisons, et aussi sur d’autres choses qui brillent la nuit")
Pour des raisons évidentes de facilité, ce livre est souvent référencé sous le titre simplifié « De lunariis » et il constitue le premier ouvrage entièrement dédicacé à la luminescence.
Fig1 de Harvey
Dans son livre, Gessner reconnaît aussi dans les aurores boréales un phénomène luminescent.
Mais comme beaucoup d’autres livres du 16ème siècle, le livre de Gessner ne fait que reprendre les constatations d’autres auteurs en les compilant. Son mérite principal est d’être dédicacé uniquement au phénomène de luminescence et plus tard d’attirer l’attention des premiers véritables expérimentateurs.
D’un point de vue scientifique, c’est un désastre ; comme la plupart des autres livres de la même époque, celui-ci ne fait pas du tout référence à la moindre expérimentation et ne comporte que très peu d’observations originales.
Ainsi par exemple Gessner cite Aelian et la pierre lumineuse apportée par une cigogne à Hérakles ; il ajoute : Solaris est la pierre appallée « l’œil du soleil ». Elle a la taille de la pupille de l’œil d’un homme et brille la nuit.
Gesner relate aussi l’histoire de Catherine d’Aragon (1485-1536), reine d’Angleterre, qui portait un anneau serti d’une pierre lumineuse la nuit. Il parle d’un rubis, mais il y a tout lieu de penser qu’il s’agissait sans doute d’un diamant.
Benvenuto Cellini (1500-1571) parle d’ailleurs dans son traité sur la joaillerie ("Due Frattati dell’ Orificera", 1568) d’un diamant qui brillait dans l’obscurité après avoir été exposé à la lumière du jour.
Une autre histoire concerne une pierre venant d’east India qui ne pouvait être touchée sans danger. Cette pierre fût présentée à Henri II, roi de France, lors de son entrée à Bologne en 1550 (d’après l’historien français J.A. de Thon 1553-1617). Sa forme, sa nature et sa pureté la rendaient semblable au feu quelle que soit la position dans laquelle on la regardait et son éclat rendait difficile le fait de la fixer (d’après John Jonston 1632). L’escarboucle a été considérée comme phosphorescente jusqu’au 16ème siècle et de nombreuses légendes concernant des pierres d’une phosphorescence exceptionnelle sont reprises dans les écrits de ce siècle. Au 17ème siècle, ces croyances s’estomperont rapidement au profit d’une vision plus conforme à la réalité.
Bartholin publiera une deuxième édition de ce livre à Copenhague en 1669. Il s’agit en fait d’une édition conjointe du livre de Gessner et de la deuxième édition de son propre livre « De luce animalium » (première édition en 1647) l’ensemble étant renommé pour l’occasion « De Luce Hominum et Brutorum ».
Curieusement tous les grands naturalistes qui écrivent sur la luminescence parlent d’un oiseau rare vivant dans la forêt Hercynienne, dont les plumes émettent la nuit une faible lueur. Pline en parlait déjà dans ses écrits.
Il semblerait que ces récits fassent allusion au jaseur de Bohême ou jaseur boréal (Bohemian waxwings, garrulus bohemicus ou bombycilla garrulus) dont les plumes bordées de rouge et de jaune réfléchissent brillamment la lumière.
Liquor Lucidus ou Liquor cicindelarum
Cornelius Gemma (p86) astronome formé à MD de Louvain publie à Anvers en 1575 « De Divinis Naturae Characterisuris » où il relate les aurores boréales du 16ème siècle avec beaucoup de détails en décrivant leurs formes.
On retrouve aussi une citation sur les vers luisants dans Hamlet de Shakespeare, publié en 1603 :
« The Glow-worm shows the matin to be near,
And ‘gins to pale his ineffectual fire. »
Retour sur les pierres lumineuses
Albertus Magnus (Albrecht von Bollstadt) publie parmi de nombreux autres ouvrages, un livre intitulé « De Mineralibus » (Padoue 1474). Il y porte une attention toute particulière aux pierres précieuses et cite à nouveau la propriété de l’escarboucle et du diamant d’émettre de la lumière dans l’obscurité. Si le diamant est en effet assez souvent phosphorescent ou thermoluminescent, à nouveau l’ambiguïté du texte d’Albertus Magnus et le fait qu’il associe aussi l’escarboucle à cette propriété permet de douter qu’il parle bien de phosphoresence et fait plutôt penser à une réflexion de la lumière sur les faces de la pierre, bien que la technique de taille de l’époque ne comporte pas ou peu de facettes et se rapproche plus du cabochon. Le doute subsiste donc sur le phénomène réellement décrit par Albertus Magnus.
Entre la mort de Pline et 1400, aucun véritable nouveau phénomène de luminescence ne fût découvert.
Au XVème et XVIème siècle, la connaissance des anciens a été copiée avec souvent de nouvelles observations venant corroborer ce qui était déjà connu.
Quelques nouveaux animaux luminescents furent découverts et décrits par les grands naturalistes.
Peu d’avancées furent faites pour interpréter les phénomènes ou pour rejeter les erreurs d’observation des auteurs anciens.
Concernant les substances non-organiques, ce sont principalement les gemmes qui sont citées, héritage du Moyen-âge.
La fin du 16ème siècle, mais surtout la première partie du 17ème siècle marqueront les débuts de la véritable démarche scientifique avec des figures comme Francis Bacon, Galilée ou William Gilbert (magnétisme et attraction électrique) et le 17ème siècle deviendra définitivement le siècle des génies : Descartes, Kircher, Boyle, Huyghens, Newton…