Histoire de la Luminescence

Le Moyen-âge : une période bien peu propice à de nouvelles découvertes sur la luminescence !

Après la période classique grecque et romaine fertile du point de vue de l’observation de la nature et de l’avancement des sciences, commence le moyen âge, période quasiment dépourvue d’observations scientifiques originales ou nouvelles qui s’étendra de la chute de Rome en 476 ( ou d’Alexandrie en 642 pour certains auteurs ) jusqu’en 1400.

A cette époque, l’esprit intellectuel est plus attiré par le ciel que par la nature et aucun véritable nouveau phénomène de luminescence ne sera observé.

A l’exclusion du monde arabe, la science du Moyen-Age est associée à des scientifiques liés à l’église : évêques, moines, nonnes, saints…

Saint Augustin (354-430) et Grégoire de tours (544-595) parlent des lucioles et des vers luisants (cicindelae).

Sainte Hildegarde (1099-1179) une nonne de Bingen en Allemagne écrit entre 1150 et 1160 un livre intitulé « Physica » où elle décrit quelques insectes dont le « glimus », c’est à dire le ver luisant (chap52 intitulé « De Glimo »). Elle écrit :

"CAP. LXX. - DE GLIMO (Lampyris noctiluca) [IV, II, 54]
Glimo plus frigidam est quam calidum. Quod si quis caducam morbum patitur, cum jam cadit, viventes glimen, quantum habere poterit, in pannum ligentur, et super umbilicum illius ponantur, et statim vires recipiet"

Soit en français :

"Ch. LXX: LE VERS LUISANT (De glimo)
Le vers luisant est plus froid que chaud. Si quelqu'un souffre d'épilepsie, au moment où il tombe, on mettra, si on le peut, des vers luisants dans un linge qu'on lui attachera sur le nombril, et il retrouvera aussitôt ses forces. "

De manière générale, peu de références sont cependant faites aux lucioles, sujet tabou, puisqu’elles étaient considérées comme les esprits des ancêtres disparus.

Muffet dans son livre intitulé « The Theatre Of Insects : Or, Lesser Living Creatures As Bees, Flies, Caterpillars, Spiders, Worms, & C. A Most Elaborate Work » publié en 1658 et qui constitue le premier livre en anglais traitant de l’entomologie cite les noms donnés en latin médiéval aux insectes produisant de la lumière, qu’ils aient des ailes ou non ; le nom le plus communément utilisé était "cicindelae", mais on trouvait aussi "Nocticula" ou "lucio", "lucula", "luciola" ou encore "lucernuta".

(pour le lecteur intéressé, il existe une version moderne de ce livre publiée en 1967.)

Chez les Arabes, le terme utilisé pour la luciole est "Yara’ah" ou "jara’a". Mais il existe un autre mot désignant les lucioles ou le ver luisant : "Hubahib" ;

Al Hubahib était le nom d’un Bédouin connu pour son avarice et qui allumait son feu avec du mauvais bois pour qu’on n’en voie pas la flamme, toujours prêt à l’éteindre si quelqu’un le voyait. La lumière froide des lucioles qui s’éteint dès que l’on dérange l’animal fût tout naturellement associée à l’histoire de l’avarice de cet homme. "Nâr al-hubâheb" ou "Abi-l-hubahib" désigne depuis tout feu que l’on voit sans pouvoir en tirer profit comme par exemple les étincelles qui jaillissent sous les fers des chevaux, et celles du frottement des pierres du briquet. Il existe même une expression arabe qui dit "« plus avaricieux qu’Abu Hubahib » pour qualifier quelqu’un de vraiment très près de ses sous ou encore "« Plus trompeur (deceitful) que le feu d’Hubahib » pour caractériser l’insignifiance de quelquechose.

Au Moyen-Age, les aurores boréales sont interprétées comme des combats sanglants dans les cieux et étaient des signes de catastrophes à venir.

En Russie au 14ème siècle, les plus belles aurores boréales étaient non seulement interprétées comme un signe céleste mais aussi comme un commandement divin pour ériger en un lieu une église ou un monastère.

A la demande du roi wisigoth Sisebuth et animé par la conviction que la valeur originelle des mots permet d’atteindre la connaissance essentielle de la nature des êtres et des choses, Saint Isidore, archevêque de Séville (alias Isidore de Séville, 560-636) rédige, à partir de 621 « Etymologiae », un monumental tableau étymologique du monde profane et sacré, véritable encyclopédie en 20 volumes compilée à partir d’ouvrages divers et qui sera une source importante de connaissances durant tout le Moyen-Age. L’énorme diffusion dans toute l’Europe de cet ouvrage et son statut de «manuel» indispensable dans toute bibliothèque lui ont conféré une importance considérable jusqu’à son déclin au cours du XIIIème siècle avec l’arrivée d’autres encyclopédies naturelles. Sauvant un riche vocabulaire antique menacé de disparaître, il modèle les cadres de la pensée médiévale sur la science de l’étymologie. Les Étymologies d’Isidore furent le livre de chevet de tous les clercs médiévaux.

Suivant un mode de pensée propre à la tradition antique (différence, analogie, glose, étymologie), il sélectionne, organise, explique l’héritage hellénistique et romain. Les Étymologies embrassent:

• les sept arts libéraux,
• le droit,
• la médecine,
• les savoirs sacrés,
• les sciences naturelles
• les techniques.

Saint Isidore est l’écrivain latin le plus souvent recopié et lu au Moyen Âge.

Dans son Etymologiae Saint Isidore reprend à peu près les mêmes histoires de pierres luminescentes que Pline, c’est à dire les histoires parlant des carbonculus (escarboucles, pierre gemme rouge qui pouvait être du grenat, du rubis, du spinelle ou encore toute pierre gemme d’un beau rouge sang) et le récit d’une pierre bleue qui exposée à la lumière du jour s’imprégnait de ses rayons de lumière.

En voici un extrait:

"ISIDORI HISPALENSIS EPISCOPI ETYMOLOGIARUM SIVE ORIGINUM LIBER XVI

(XIV. DE IGNITIS.)
[1] Omnium ardentium gemmarum principatum carbunculus habet. Carbunculus autem dictus quod sit ignitus ut carbo, cuius fulgor nec nocte vincitur; lucet enim in tenebris adeo ut flammas ad oculos vibret. Genera eius duodecim, sed praestantiores qui videntur fulgere et veluti ignem effundere. Carbunculus autem Graece ANTHRAKS dicitur. Gignitur in Libya apud Trogodytas.
[2] Anthracitis vocatus quod sit et ipse coloris ignei ut carbunculus, sed candida vena praecinctus; cuius proprium est quod iactatus igni velut intermortuus extinguitur, at contra aquis perfusus exardescit.
[3] Sandasirus nascitur in Indis, loco eiusdem nominis. Species eius quod veluti in tralucido igne intus fulgent aureae guttae. Constat inter omnes, quantus numerus stellarum accedit, tanto et pretium accedere.
[4] Lychnis ex eodem genere ardentium est, appellata a lucernarum flagrantia: gignitur in multis locis, sed probatissima apud Indos. Quidam eam remissiorem carbunculum esse dixerunt. Huius duplex facies; una quae purpura radiat, alia quae cocci rubore. A sole excalefacta aut digitorum adtritu paleas et chartarum fila ad se rapere dicitur; sculpturis resistit, ac si quando sculpta est, dum signa inprimit, quasi quodam animali morsu partem cerae retentat. Genera eius quattuor.
[5] Carchedonia hoc quod et lychnis facere dicitur, quamquam multo vilior praedictis. Nascitur apud Nasamonas imbre, ut ferunt, divino: invenitur ad repercussum lunae plenae. Omnia autem genera sculpturae resistunt.
[6] Alabandina dicta ab Alabanda Asiae regione, cuius color ad carchedoniam vadit, sed rarus.
[7] Dracontites ex cerebro draconis eruitur. Quae nisi viventi abscisa fuerit, non ingemmescit; unde et eam magi dormientibus draconibus amputant. Audaces enim viri explorant draconum specus, spargunt ibi gramina medicata ad incitandum draconum soporem, atque ita somno sopitis capita desecant et gemmas detrahunt. Sunt autem candore translucido. Vsu earum orientis reges praecipue gloriantur.
[8] Chrysoprasus Aethiopicus est; quem lapidem lux celat, prodit obscuritas. Nocte enim igneus est, die aureus.
[9] Phlogites ex Persida est, ostentans intra se quasi flammas aestuantes, quae non exeant. [
10] Syrtitis vocata quoniam in litore Syrtium inventa primum est. In parte Lucaniae color huius croceus, intus stellas continens languidas, et sub nubilo renitentes.
[11] Hormiscion inter gratissimas aspicitur, ex igneo colore radians auro portante[m] secum in extremitatibus candidam lucem."

Hildegarde, épouse de Théodoric Comte de Hollande présenta à l’abbaye d’Egmund une « Chrysolampis » qui brillait tellement la nuit qu’à côté d’elle, les moines pouvaient lire.

Une autre histoire rapportée par Sir john Mandeville’s (1300-1377) parle d’un rubis d’un demi-pied de long tellement lumineux la nuit qu’il faisait clair comme en plein jour dans la chambre où il se trouvait !

Durant toute cette période, un assez grand nombre de récit de voyageurs relatent des faits concernant ce genre de pierres étrangement lumineuses auxquelles Aristote faisait déjà brièvement allusion, mais la plupart de ces histoires peuvent s’expliquer par des conditions d’éclairage particulières. Il n’en reste pas moins que durant le Moyen-age, la croyance dans l’existence des gemmes lumineuses la nuit semble avoir été très en vogue, on pourrait même dire qu’elle était à son apogée.

C’est donc sans surprise que l’on peut conclure qu’aucune nouvelle découverte ou nouvelle observation importante n’apparaît au moyen âge dans l’histoire de la luminescence.